« Vous voulez une loi, vous en aurez
trois ! » (Charles Pasqua, Nancy, 1993)
C’est
en ces termes qu’en 1993, lors du congrès national de Nancy, Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur,
répondit au président de la Fédération, le colonel Bernard Janvier, qui
sollicitait un projet de loi pour rénover le modèle français des secours.
En
effet, sous les coups de boutoir du nombre d’interventions qui ne cesse
d’enfler (le cap des 3 millions d’intervention est franchi en 1993), le
nombre des sapeurs-pompiers diminuant
(197 000 volontaires et 23 000 professionnels en 1993), ce modèle
a besoin d’être rénové. Pour les dirigeants de la Fédération, il faut une plus
grande équité. Equité dans la distribution des secours et équité entre les sapeurs-pompiers eux-mêmes, les volontaires et
les professionnels. En effet, la différence des moyens mis, entre les grandes
collectivités urbaines regroupées en communautés urbaines, districts, syndicats
à vocation multiples etc., et les petites
communes qui ont bien du mal à entretenir leur centre de secours, n’a
cessé de s’agrandir en cette fin du XXe siècle, provoquant des inégalités
flagrantes dans la distribution des secours. Ceux-ci relèvent pourtant d’une
mission régalienne de l’Etat et par essence doivent être équitables sur tout le
territoire. Ils ne le sont pas, non pas
de la faute de l’engagement des hommes, mais bien de celle des moyens insuffisants
qui leur sont donnés, et d’une organisation dépassée et inadaptée pour faire
face à leurs responsabilités.
Il
en est de même pour les hommes. Tous les sapeurs-pompiers français ne
bénéficient pas des mêmes prestations. Si la loi du 31 décembre 1991 a, enfin, donné à tous les
sapeurs-pompiers volontaires une même couverture sociale, en cas d’accident ou
de maladie contractée en service commandé, il n’en demeure pas moins, que d’un
centre de secours à l’autre, même quand ils sont voisins, certains volontaires
perçoivent des vacations (indemnités) d’autres n’en ont pas ou n’ont pas le
même taux, certains ont une allocation de vétérance d’autres pas. Ne parlons
pas de la disponibilité qui, en fait n’est consentie pratiquement qu’aux
employés communaux dans la journée, ou ceux qui peuvent la prendre parce qu’ils
exercent une profession indépendante ou libérale. Ce n’est pas mieux pour les
sapeurs-pompiers professionnels qui n’ont pas tous le même temps de travail et
ne perçoivent pas les mêmes avantages statutaires, selon leur collectivité
d’emploi.
Pour
la Fédération, comme elle ne cesse de le réclamer depuis 1918, il faut d’abord
changer le système communal, surtout sans toucher à la responsabilité des maires
en matière de secours (pouvoirs de police), mais en confiant la gestion des
secours à un établissement départemental. La départementalisation. Obligatoire
pour tous et sans aucune dérogation comme
elle le propose depuis 1937 lors du
congrès de Toulouse. Ce nouveau cadre de
gestion permettra alors à la loi, de comporter un volet sur le développement du
volontariat en passant par d’authentiques progrès sociaux pour ceux qui s’y
engagent, la possibilité de bénéficier
de disponibilité pour intervenir et se
former et d’avoir un texte statutaire ; et un autre volet sur l’harmonisation
du temps et des conditions de travail des sapeurs-pompiers professionnels. Une
rénovation fondamentale !
Dans
l’esprit de Charles Pasqua, il s’agissait de trois textes de loi. Mais très vite, l’administration centrale
n’en prépara qu’un : exit le texte sur le temps de travail renvoyé aux décrets
d’application, exit le texte sur le développement du volontariat jugé trop
difficile !
Il
en fallut du courage, de l’opiniâtreté , de la conviction au président Bernard
Janvier pour parvenir à ses fins . Ses adversaires étaient nombreux à
l’extérieur de la sphère des pompiers, mais à l’intérieur aussi, y compris au
sein de son équipe rapprochée.
Il
eut d’abord à convaincre l’Etat que la loi de départementalisation était un
cadre pour rénover l’engagement citoyen
et non pas une fin en soi. Il interpella, lors du congrès de Montpellier, le
nouveau ministre de l’intérieur Jean-Louis Debré dans un discours qui fera date
« …dites-moi qui remplacera nos
volontaires dans nos forêts, qui équipera une ambulance sur le plateau du
Larzac, dîtes-moi quel sera alors le coût de la sécurité !... ».
Il met en œuvre une nouvelle méthode de lobbying où les présidents d’union vont
directement solliciter chez eux les parlementaires, à l’instar de Guy Morand ,
PUD 74 auprès de Pierre Mazeaud. Des aides appréciables proviendront de la représentation nationale. Comment ne pas mentionner l'aide inestimable apportée sur ce dossier, par le sénateur-précurseur Jean-Jacques Hyest. Et cela
porte ses fruits. En grand homme d’état
Jean-Louis Debré a compris l’importance des enjeux et deux lois sont
simultanément mises en chantier, l’une sur l’organisation territoriale, l’autre
sur le développement du volontariat. Tout ceci dans le souci du respect des
équilibres département-commune, en
réaffirmant le principe intangible du pouvoir de police des maires et en
maintenant des corps communaux (corps de première intervention), quand ils
existent, à côté du corps départemental.
Il lui faut aussi faire face à une cabale
interne, à la création d’une union nationale des chefs de corps communaux, décidée par l’un de ses proches, à un
lobbying intense de certains présidents et chefs de corps de communauté
urbaine, pour exclure celles-ci de la loi (une seule voix de majorité au sénat
réfutera cette proposition). Le président Janvier, avec l’équipe fédérale,
surmonta tous les obstacles.
Le 3
mai 1996, les deux lois furent simultanément promulguées. Elles allaient révolutionner le volontariat
et l’organisation des secours. Il faudra beaucoup de décrets, d’arrêtés,
de nouveaux textes, pour renforcer cette loi, dont on peut dire que les lois de
2004 et 2011 sont issues. Les conséquences
en furent innombrables. Elles allaient constituer les textes fondateurs d’une
modernisation, sans précédent, de notre modèle français des secours !
Bernard
janvier fut un grand visionnaire et un
grand stratège. Il pouvait passer le flambeau en ayant le sentiment, avec les
pompiers de France, d’avoir donné les bases pour sauver notre modèle français
des secours ! Un modèle unique !
A d’autres d’exploiter cette avancée historique ! Ses successeurs n’y manqueront pas !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire