Dès sa création, la Fédération avait demandé
la réforme du décret de 1875 qui avait été pris sans la concertation avec les
sapeurs-pompiers. Elle-le jugeait difficile à appliquer, déconnecté des
réalités du terrain et pas suffisamment incitatif au recrutement.
Le 20 novembre 1903, le ministère
d’Emile Combes prit un nouveau décret organique… mais une nouvelle fois, en
dépit des promesses faites à la jeune Fédération, sans
consulter les sapeurs-pompiers.
Pourtant ce décret mit
véritablement « le feu aux poudres », c’est le cas de le dire et
donna lieu à une page extraordinaire de l’histoire des sapeurs-pompiers.
Mais pour bien comprendre cette
histoire originale connue sous le vocable de « corps libres », il
faut se replonger dans le contexte de l’époque.
Pour faire bref, les
sapeurs-pompiers français ne sont pas les héritiers de la révolution
industrielle qui les ont conduits à un métier, à une profession par le
processus de la spécialisation, mais ceux de la révolution politique française
inspirée par les principes d’Universalité, de Modernité et de la garantie de la
vitalité de ces valeurs : l’engagement citoyen.
Un engagement citoyen au niveau
de la commune consacré par la loi de l’Assemblée Nationale sur les communes,
votée du 16 au 24 août 1790.
Quand on a dit çà, on n’a pas
mis pour autant le monde pompier dans une caserne. Ils ne sont que 8000 en
1815.
Le XIXème siècle sera une quête
des communes mais aussi de l’Etat pour parvenir à obtenir le nombre de
sapeurs-pompiers suffisant à la couverture des risques qui ne cessent de
croître sous les effets de la révolution industrielle qui éclot après la fin du
Premier empire et qui va peu à peu transformer notre économie paysanne en une
économie industrialisée avec les phénomènes d’urbanisation, de quartiers
bondés, à proximité d’usines à risques.
Les maires des villes
importantes, mais aussi l’Etat sont attachés à ce développement.
C’est pourquoi tout au long du
XIVème siècle, on va assister à une construction d’un système communal,
simultanément à la volonté de l’Etat (qui revêt cinq régimes différents)
d’encadrer, de surveiller, car il se méfie de ces hommes, les pompiers, qui
émanent de la Nation ,
qui pratiquent un engagement citoyen spontané, et qui constituent des unités
organisées et…armées (surtout en 1875 après l’épisode sanglant de la Commune en 1871).
La tentation est même souvent
forte de les nationaliser et de les placer sous l’égide du ministère de la
guerre.
Politique payante. En effet,
qu’ils proviennent de pompiers communaux (dans certaines grandes villes de
France) ou de pompiers issus de la Garde Nationale , les effectifs globaux montèrent
pour atteindre 286.000 en 1870 puis après le départ des Lorrains et des
Alsaciens, 182.000 en 1877, mais à nouveau 332.000 en 1914 (source Hubert
Lussier « Les Sapeurs-Pompiers au XIVème siècle – Bibliothèque des
Ruralistes l’Harmati en 1987).
Le décret de 1875 uniformisa
les statuts en précisant qu’il n’y avait qu’une catégorie de
sapeurs-pompiers : ils procédaient tous d’un engagement citoyen. Cependant,
certaines communes déjà ne voulaient pas respecter toutes les exigences du
décret sur fond de querelles politiques entre les différents partis.
C’est dans ce contexte que
parut le décret du 10/11/ 1903, qui en dépit des signes favorables effectués à
l’intention des sapeurs-pompiers de France catalysa un mécontentement de
ceux-ci et des élus communaux.
En effet, le retrait du droit
au drapeau à toutes les unités de moins de cent hommes, l’imposition faite
d’accepter les officiers et sous-officiers provenant de l’armée, dans les rangs
des sapeurs-pompiers au même grade que celui acquis fut vécue comme une
humiliation par les sapeurs-pompiers de France ne voulant pas « d’un
colonel ou d’un général prenant sa retraite dans son pays d’enfance à la tête
de 15 braves bougres qui sur un cheval blanc ou noir les fera défiler
… ! ».
Les élus communaux eux (du
moins ceux de l’opposition parlementaire …) s’opposèrent aux volontés de l’Etat
de mettre la main sur les commissions d’admission où on prévoyait une majorité
de sous-préfets et sur la nomination des officiers qui revenait au Président de
la République
avec les pouvoirs discrétionnaires de recrutement en dehors des rangs de
sapeurs-pompiers.
Nombre de communes dirent non
et créèrent des corps libres !
C’est-à-dire que pour échapper
à la tutelle du préfet et du décret, les maires créèrent des unités
associatives de « sauveteurs-secouristes » munis d’uniformes
quasiment identiques à ceux des sapeurs-pompiers.
Ils intervenaient sous la seule
autorité du maire, dans les missions de sapeurs-pompiers.
L’Etat depuis 1875 avait permis
la création de sociétés de sauveteurs et de pompiers « privés » dans
certaines usines. Mais là, ces « sauveteurs » des corps libres
effectuaient d’authentiques missions du service public dévolues aux seuls
sapeurs-pompiers telles que prévues dans le décret de 1903.
Il y eut deux batailles :
la bataille juridique et celle du terrain dans certains départements.
Le Conseil d’Etat saisi, rendit
en 1907 un arrêt concluant à l’illégalité de l’existence de ces corps libres
puisque rien ne pouvait être fait en dehors du décret de 1903 qui ne prévoyait
aucune exception.
Cependant en 1909, il compléta
cet arrêté en inversant, comme souvent, avec subtilité la première décision
puisque cette précision stipulait que le décret de 1903 n’interdisait pas des
associations privées de se constituer pour poursuivre l’objet du décret.
Sur le terrain, ce fut
quasiment de véritables luttes entre le préfet chassant les corps libres, les
dissolvant pour port de « tenues irrégulières » quand celles-ci
ressemblaient de trop à celles des sapeurs-pompiers et les maires. Cependant
les sauveteurs voulaient être d’authentiques sapeurs-pompiers. L’aventure ne
pouvait durer. Elle prit fin par le décret du 18 avril 1914, largement ouvert
aux thèses de la Fédération ,
et mettant fin aux polémiques qui étaient nées d’une volonté d’encadrement trop
stricte de la part de l’Etat.
Mais cette histoire
était-t-elle vraiment finie ?
Ne renaquit-elle pas, comme un
Phénix, de ses cendres, dans le sud-est de la France à la fin du siècle dernier sous l’égide
des « centres communaux feux et forêt » dont certains comme dans le
Var sont très nombreux.
Ces fameux C.C.F.F., constitués
souvent d’anciens sapeurs-pompiers, gens du terroir, de la commune, bénévoles
participent à la protection des forêts, en principe par de la prévention, de la
surveillance. Mais eux-aussi, ils ont des tenues, des engins avec de l’eau, une
lance, un réseau radio, des relations d’entraide entre communes et si dans
l’exercice de leurs missions, survient un feu naissant, ils procèdent à son
extinction !
Ils ne sont pas comme les corps
libres du début du XXème siècle sur les mêmes missions que les
sapeurs-pompiers, mais au nom d’une organisation spontanée de la population des
communes, ils empiètent sur les missions des sapeurs-pompiers sans en avoir le
droit, les compétences et les devoirs.
La loi du 13 avril 2004 qui
ouvrait grand les portes des réserves communales ne parvient pas à mettre fin à
ces centres. Cependant, l’obligation qui leur est faite de rester dans le
strict cadre préventif est beaucoup mieux appliquée.
Mais ne vit-t-on pas, il y a
peu de temps des « fanatiques » des feux de forêts, acheter et retaper un vieux camion citerne
feu de forêts, l’équiper et parcourir plusieurs centaines de kilomètres pour
proposer leurs services aux C.C.F.F. du Var ?
Ne doit-on pas non plus, mettre
sur ces pratiques «contestataires » des communes à l’égard de l’Etat, l’ouverture, à la fin des années 90, d’un
centre de première intervention communal à Liévain, alors qu’il existait déjà
un centre de secours procédant du SDIS, pour exercer, gracieusement au profit
de la population les missions que le SDIS ne voulait plus exercer à titre
gratuit comme le permet la loi du 3 mai 1996 quand il s’agit de missions ne
faisant pas partie des secours règlementaires (épuisements d’inondations
provoquées par négligence, destructions des nids d’hyménoptères par
exemple !) ?
La liste pourrait être encore
longue, de ces querelles jamais inachevées entre les communes qui entendent
s’administrer elles-mêmes sans se plier aux contraintes édictés par un état
fixant des règles générales, ce qui est logique dans une République Une et
Indivisible.
Tout le long cheminement des
sapeurs-pompiers de France est ainsi résumé, tous les obstacles aussi qu’ils
doivent surmonter pour mettre au service de leur République, de son Intérêt
Général, la richesse spontanée de leur engagement émanant de la Nation , tous les efforts
qu’ils doivent consentir pour transcender leurs horizons communaux en
Universalité de la France.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire