1882-2012 : 130 ans aux côtés des sapeurs-pompiers !

A l'occasion de ses 130 années d'existence, la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France vous invite à (re)découvrir les concepts et moments clés qui l'ont façonnée, et font d'elle aujourd'hui encore le socle toujours plus vivant pour tous les sapeurs-pompiers. Chaque jour de la semaine, un fait marquant de son histoire vous est proposé.

mercredi 22 août 2012

[" VIOLEMMENT MODÉRÉS ! "]


Le tam-tam de la mobilisation résonne en ce mois de novembre 1990, entre les tribus des sapeurs-pompiers. Le mécontentement est profond chez les sapeurs-pompiers volontaires en quête d’une reconnaissance élémentaire, les sapeurs-pompiers professionnels à la recherche d’un semblant d’organisation de leur profession et provoqués par des textes statutaires qui ne répondent en rien à leurs attentes, chez les syndicats qui ne sont pas entendus par les pouvoirs publics, en dépit de la volonté affichée par le gouvernement Rocard de dialogue social, et à la Fédération confrontée à des pouvoirs publics qui l’ignorent superbement ou ont au mieux une attitude de commisération et d’incompréhension totale à son égard.
Ainsi, lors du congrès de Lyon, le 6 octobre 1990, face à un discours très ferme du président, le colonel Bernard Janvier, ovationné par les pompiers, le ministre de l’intérieur M. Marchand , désarçonné, semblant dépassé par les évènements, parlant devant un auditoire d’hommes en tenue qui avaient ôté une épaulette en signe de protestation, avaient conclu, dans un silence glacial par un « je vous dispense de m’applaudir ! » qui en disait long sur sa volonté de ne pas dialoguer.


Rien n’avait bougé après. Aussi la Fédération était prête à franchir le pas et le président Janvier envisagea une manifestation de rue.
Les manifestations de rue, la Fédération, elle connaît, bien sûr : des défilés du 14 juillet, des cortèges qu’elle suit (on a raconté sa participation au cortège funèbre de Victor Hugo), des défilés imposants qui ont jalonné son histoire, dans les congrès et dans les fêtes fédérales, certains, imposant, comme celui qui réunit 7000 sapeurs-pompiers pour la fameuse fête des 100 000, des manifestations patriotiques. Enfin, toute la pratique de représentation d’un corps constitué dans notre République.

Mais des manifestations de rue à des fins revendicatrices, jamais ! Ses présidents et ses conseils d’administrations n’ont jamais voulu, ils ne l’ont même jamais envisagé, y compris aux pires heures des provocations et des actes odieux auxquels elle fut confrontée de la part des ambulanciers. Elle avait toujours tenu une attitude digne, légaliste, respectueuse du pouvoir en place, et avait toujours préféré le travail opiniâtre, persévérant de conviction, la pratique de l’art du compromis et la recherche des voies du dialogue à l’établissement d’un rapport de forces dans la rue.

Pourtant les sapeurs-pompiers professionnels, mobilisés par leurs syndicats qui étaient montés en puissance après la loi sur la fonction publique territoriale de 1984 avaient souvent recours à des mouvements sociaux de rue. Certains comme en 1981 à Brest et à Lorient avaient même été houleux, voire entachés de quelques violences (qui avaient d’ailleurs entrainé de lourdes sanctions disciplinaires et même la dissolution du corps de Lorient). Les sapeurs-pompiers volontaires avaient pris leur distance avec ces manifestations qu’ils réprouvaient, à l’égard de l’image des sapeurs-pompiers, et parce que ce genre de mouvements de protestation, ne faisaient  vraiment pas partie de leur conception de leur rôle et de la nature de leur engagement citoyen.
Mais en ce mois de novembre 1990, jamais situation n’avait apparu aussi bloquée et le pouvoir aussi méprisant !

Le colonel Bernard Janvier n’était pas homme à ce style de protestation. Il était calme, rangé, n’avait pas eu grande sympathie pour les mouvements des sapeurs-pompiers professionnels dans les années 80, lors du conflit avec les « blancs « notamment, mais c’était un homme de réflexion et de décision. Et il savait prendre ses responsabilités. Il sut surmonter des différents qui l’avaient opposé à des dirigeants syndicaux pour préparer avec eux une grande manifestation dont la Fédération prendrait la tête. Elle fut préparée avec beaucoup de minutie, avec un  service d’ordre conséquent pour prévenir tout débordement. En dépit, de l’interdiction, il fut décidé que la manifestation se tiendrait en tenue, mais pas en tenue de feu, avec le risque de se retrancher derrière l’anonymat de la visière d’un casque intégral baissée pour se livrer à des actes de vandalisme voire commettre des exactions. Non en tenue « Kermel » avec la casquette rouge. La date hautement symbolique, en raison de la proximité de la Sainte-barbe, du 1er décembre fut choisie. La semaine précédente, un galop d’essai avait même été organisé avec succès, dans les villes sièges d’une zone de défense.

De tous les coins de France les pompiers vinrent, professionnels et volontaires. L’histoire retiendra le chiffre de 50 000 hommes et femmes qui défilèrent dignement, sobrement de la République à la Bastille. Et le gouvernement dut composer… A peine arrivé à Bastille, grâce à un des tous premiers téléphones portables, le président Janvier avait déjà contact avec ses représentants. Les avancées furent très importantes : la protection sociale nationale pour les sapeurs-pompiers volontaires, la création d’une sous-direction des sapeurs-pompiers à l’intérieur de la direction de le Sécurité Civile, avec des officiers de sapeurs-pompiers, des assouplissements  sensibles à la rigueur des quotas d’encadrement de la pyramide hiérarchique ouvrant de nombreux postes des sous-officiers et d’officiers, etc.
Mais surtout, la Fédération avait pu prendre conscience, et les pouvoirs publics avec elle, d’un formidable pouvoir de mobilisation et d’entente avec les syndicats !

C’est ce ressort, mais en mode mineur que le colonel Daniel Ory utilisa, à nouveau en 2002, lors du vote de la loi "Démoprox". En effet, profitant d’un projet de loi réformant des dispositions, notamment financières, concernant les collectivités territoriales, un groupe de sénateurs actif avait fait voter au sénat de  profondes modifications à la loi du 3 mai 1996, rompant avec ses  équilibres et plaçant les SDIS dans les services des Conseils Généraux (perte du statut d’établissement public). C’était la fin du lien avec les communes, la menace d’atteintes rudes au maillage territorial et ce qui apparut aux sapeurs-pompiers éminemment dangereux et un coup brutal porté à la Sécurité Civile à qui on retirait pratiquement les sapeurs-pompiers, son principal bras armé.

Le lobbying fédéral, matérialisé par la parution d’un Livre Blanc, s’exerça avec succès auprès des députés qui examinait le texte en seconde lecture. Mais pour être sûr de rappeler aux députés leur engagement, Daniel Ory positionna, le 5 février 2002,  un piquet de 1500 sapeurs-pompiers, en tenue, place du palais Bourbon pour qu’ils interpellent les députés avant leur entrée en séance. Toutes les Unions départementales étaient représentées et purent chacune exprimer leurs attentes à leurs députés.

A quelques mois des élections générales de 2002 (présidentielle et législatives), le succès fut immense, car nombre de dispositions votées par le Sénat furent abandonnées par l’Assemblée et de surcroît le gouvernement et le président de la République s’engagèrent à voter une loi de modernisation de la sécurité civile pour ériger en loi, le concept de la compétence partagée (légitimité des sapeurs-pompiers à être les sauveteurs de proximité et en même temps, sous l’égide de l’Etat, les intervenants en cas de catastrophe majeure). Cette loi fut votée et promulguée le 13 août 2004

Néanmoins, les sapeurs-pompiers de France et leur Fédération n’abusèrent pas de ce genre de manifestation. Cette parcimonie n’en diminue pas, pour autant, la dissuasion qu’elle constitue et dont les présidents fédéraux successifs  sauront se servir avec habileté.

La défiance d’une grande majorité des sapeurs-pompiers vis-à-vis des mouvements de rue dont ils exècrent les excès comme en novembre 2006, et en même temps la possibilité démontrée qu’ils peuvent dignement se mobiliser, quand ils estiment que l’Intérêt Général est menacé est un signe de maturité, de sens des responsabilités et de modération. Leur Fédération est à leur image.

«Violemment modérée » pour plagier un mot célèbre d’Alexis de Tocqueville


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire