Le tam-tam de la mobilisation
résonne en ce mois de novembre 1990, entre les tribus des sapeurs-pompiers. Le
mécontentement est profond chez les sapeurs-pompiers volontaires en quête d’une reconnaissance élémentaire,
les sapeurs-pompiers professionnels à la recherche d’un semblant d’organisation
de leur profession et provoqués par des textes statutaires qui ne répondent en
rien à leurs attentes, chez les syndicats qui ne sont pas entendus par les
pouvoirs publics, en dépit de la volonté affichée par le gouvernement Rocard de
dialogue social, et à la
Fédération confrontée à des pouvoirs publics qui l’ignorent
superbement ou ont au mieux une attitude de commisération et d’incompréhension
totale à son égard.
Ainsi, lors du congrès de Lyon,
le 6 octobre 1990, face à un discours très ferme du président, le colonel
Bernard Janvier, ovationné par les pompiers, le ministre de l’intérieur M.
Marchand , désarçonné, semblant dépassé par les évènements, parlant devant
un auditoire d’hommes en tenue qui avaient ôté une épaulette en signe de
protestation, avaient conclu, dans un silence glacial par un « je vous dispense de
m’applaudir ! » qui en disait long sur sa volonté de ne pas
dialoguer.
Rien n’avait bougé après. Aussi la Fédération était prête
à franchir le pas et le président Janvier envisagea une manifestation de rue.
Les manifestations de rue, la Fédération, elle connaît, bien sûr : des défilés du 14 juillet, des
cortèges qu’elle suit (on a raconté sa participation au cortège funèbre de
Victor Hugo), des défilés imposants qui ont jalonné son histoire, dans les
congrès et dans les fêtes fédérales, certains, imposant, comme celui qui réunit
7000 sapeurs-pompiers pour la fameuse fête des 100 000, des manifestations
patriotiques. Enfin, toute la pratique de représentation d’un corps constitué
dans notre République.
Mais des manifestations de rue à des fins
revendicatrices, jamais ! Ses présidents et ses conseils d’administrations
n’ont jamais voulu, ils ne l’ont même jamais envisagé, y compris aux pires
heures des provocations et des actes odieux auxquels elle fut confrontée de la
part des ambulanciers. Elle avait toujours tenu une attitude digne, légaliste,
respectueuse du pouvoir en place, et avait toujours préféré le travail
opiniâtre, persévérant de conviction, la pratique de l’art du compromis et la
recherche des voies du dialogue à l’établissement d’un rapport de forces dans
la rue.
Pourtant les sapeurs-pompiers
professionnels, mobilisés par leurs syndicats qui étaient montés en puissance
après la loi sur la fonction publique territoriale de 1984 avaient souvent
recours à des mouvements sociaux de rue. Certains comme en 1981 à Brest et à
Lorient avaient même été houleux, voire entachés de quelques violences (qui
avaient d’ailleurs entrainé de lourdes sanctions disciplinaires et même la
dissolution du corps de Lorient). Les sapeurs-pompiers volontaires avaient pris
leur distance avec ces manifestations qu’ils réprouvaient, à l’égard de l’image
des sapeurs-pompiers, et parce que ce genre de mouvements de protestation, ne
faisaient vraiment pas partie de leur
conception de leur rôle et de la nature de leur engagement citoyen.
Mais en ce mois de novembre 1990, jamais situation n’avait apparu aussi bloquée et le pouvoir aussi méprisant !
Mais en ce mois de novembre 1990, jamais situation n’avait apparu aussi bloquée et le pouvoir aussi méprisant !
Le colonel Bernard Janvier
n’était pas homme à ce style de protestation. Il était calme, rangé, n’avait
pas eu grande sympathie pour les mouvements des sapeurs-pompiers professionnels
dans les années 80, lors du conflit avec les « blancs « notamment,
mais c’était un homme de réflexion et de décision. Et il savait prendre ses
responsabilités. Il sut surmonter des différents qui l’avaient opposé à des
dirigeants syndicaux pour préparer avec eux une grande manifestation dont la Fédération prendrait la
tête. Elle fut préparée avec beaucoup de minutie, avec un service d’ordre conséquent pour prévenir tout
débordement. En dépit, de l’interdiction, il fut décidé que la manifestation se
tiendrait en tenue, mais pas en tenue de feu, avec le risque de se retrancher
derrière l’anonymat de la visière d’un casque intégral baissée pour se livrer à
des actes de vandalisme voire commettre des exactions. Non en tenue « Kermel » avec la casquette
rouge. La date hautement symbolique, en raison de la proximité de la Sainte-barbe , du 1er
décembre fut choisie. La semaine précédente, un galop d’essai avait même été
organisé avec succès, dans les villes sièges d’une zone de défense.
De tous les coins de France les
pompiers vinrent, professionnels et volontaires. L’histoire retiendra le
chiffre de 50 000 hommes et femmes qui défilèrent dignement, sobrement de la République à la Bastille. Et le
gouvernement dut composer… A peine arrivé à Bastille, grâce à un des tous
premiers téléphones portables, le président Janvier avait déjà contact avec ses
représentants. Les avancées furent très importantes : la protection
sociale nationale pour les sapeurs-pompiers volontaires, la création d’une sous-direction
des sapeurs-pompiers à l’intérieur de la direction de le Sécurité Civile, avec
des officiers de sapeurs-pompiers, des assouplissements sensibles à la rigueur des quotas
d’encadrement de la pyramide hiérarchique ouvrant de nombreux postes des
sous-officiers et d’officiers, etc.
Mais surtout, la Fédération avait pu
prendre conscience, et les pouvoirs publics avec elle, d’un formidable pouvoir
de mobilisation et d’entente avec les syndicats !
C’est ce ressort, mais en mode
mineur que le colonel Daniel Ory utilisa, à nouveau en 2002, lors du vote de la
loi "Démoprox". En effet, profitant d’un projet de loi réformant des
dispositions, notamment financières, concernant les collectivités
territoriales, un groupe de sénateurs actif avait fait voter au sénat de profondes modifications à la loi du 3 mai
1996, rompant avec ses équilibres et
plaçant les SDIS dans les services des Conseils Généraux (perte du statut
d’établissement public). C’était la fin du lien avec les communes, la menace d’atteintes rudes au maillage
territorial et ce qui apparut aux sapeurs-pompiers éminemment dangereux et un coup brutal porté à la Sécurité Civile à qui
on retirait pratiquement les sapeurs-pompiers, son principal bras armé.
Le lobbying fédéral, matérialisé
par la parution d’un Livre Blanc, s’exerça avec succès auprès des députés qui
examinait le texte en seconde lecture. Mais pour être sûr de rappeler aux
députés leur engagement, Daniel Ory positionna, le 5 février 2002, un piquet de 1500 sapeurs-pompiers, en tenue,
place du palais Bourbon pour qu’ils interpellent les députés avant leur entrée
en séance. Toutes les Unions départementales étaient représentées et purent
chacune exprimer leurs attentes à leurs députés.
A quelques mois des élections
générales de 2002 (présidentielle et législatives), le succès fut immense, car
nombre de dispositions votées par le Sénat furent abandonnées par l’Assemblée
et de surcroît le gouvernement et le président de la République s’engagèrent
à voter une loi de modernisation de la sécurité civile pour ériger en loi, le
concept de la compétence partagée (légitimité des sapeurs-pompiers à être les
sauveteurs de proximité et en même temps, sous l’égide de l’Etat, les
intervenants en cas de catastrophe majeure). Cette loi fut votée et promulguée
le 13 août 2004
Néanmoins, les sapeurs-pompiers
de France et leur Fédération n’abusèrent pas de ce genre de manifestation.
Cette parcimonie n’en diminue pas, pour autant, la dissuasion qu’elle constitue
et dont les présidents fédéraux successifs
sauront se servir avec habileté.
La défiance d’une grande majorité
des sapeurs-pompiers vis-à-vis des mouvements de rue dont ils exècrent les
excès comme en novembre 2006, et en même temps la possibilité démontrée qu’ils peuvent dignement se mobiliser, quand
ils estiment que l’Intérêt Général est menacé est un signe de maturité, de sens
des responsabilités et de modération. Leur Fédération est à leur image.
«Violemment modérée » pour plagier un mot célèbre d’Alexis de
Tocqueville
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